Je suis partie aujourd’hui
Les soins palliatifs à domicile ou le dernier train avant le bleu du ciel par Franca Maï
Franca Maï : Fleurs vénéneuses extrait Crescendo (vidéo)
L’irruption du nazisme interroge à plus d’un titre. Tout d’abord, pour en saisir l’essence, il est nécessaire d’abandonner la grille d’interprétation morale introduite par le judaïsme. Le Nazisme n’est pas l’apparition du mal sur le bien, mais une ambition démesurée, celle de réaliser l’idée de perfection absolue dans le monde. Un monde parfait, où chaque individu est une pièce d’un gigantesque puzzle -ayant à son sommet un dieu incarné en la personne de Hitler- suivi d’une cohorte de disciples, mis en concurrence afin de les bloquer dans leur ambition individuelle de vouloir s’emparer de la première place ; et à l’autre bout de l’échelle, l’enfer, le programme de la solution finale, comme l’évoque la peinture de Jérôme Bosch.
C’est à escient que j’évoque une peinture, parce que le Nazisme se manifeste d’abord par son esthétique.
Une esthétique dans laquelle chaque individu est voué à l’élévation d’un monde fictif. Chaque individu jusque dans la machine de mort des camps d’extermination. Ceux que le nazisme désigne comme des races inférieures devant disparaître, font aussi partie de la structure fictive du monde nazi. La solution finale est un des éléments centraux de la structure du monde nazi.
Ce qui frappe, dans l’application de l’idéalisme Nazi, c’est la rigueur exposée comme une esthétique.
Un certain nombre d’écrivains et d’artistes, notamment du milieu du cinéma et de l’édition, ont été profondément séduit par la présentation publique du nazisme. L’un des plus célèbres d’entre eux, Céline ne manque jamais d’y faire référence. Brasillach a été jusqu’à s’y noyer.
Jusqu’à aujourd’hui, la première approche que nous recevons de ce monde est sa présentation. Non l’étalage d’une misère insupportable, ni une bande de mercenaires, mais une évocation de la puissance, de la discipline, de la propreté, de l’ordre. L’image du nazisme n’est pas celle d’une bande de clochards ennivrés qui massacre au hasard sous l’emprise d’une folie sadique, mais une organisation alignée, uniforme, servile. Le Nazisme nous est présenté, à nous dont on ignore les rouages, les raisons, l’époque de cette catastrophe -parce que nés dans la deuxième moitié du XXème siècle de la terreur- d’abord comme un spectacle, spectacle aux règles effrayantes.
Le Nazisme est évoqué comme le point limite que le monde moderne ne doit jamais atteindre.
Le Nazisme nous est présenté comme une expérience catastrophique qui ne doit jamais revenir sur le devant de la scène de l’histoire.
Le Nazisme est le critère du mal à partir duquel se justifie les démocraties parlementaires modernes pour se maintenir.
De l’esthétique de la discipline, le nazisme est devenu l’esthétique du mal absolu. Du projet d’un monde puissant, puisant sa force dans une jeunesse idéalisée, le nazisme est devenu le programme d’un monde de terreur puisant sa force dans la folie destructrice.
Le nazisme est devenu un chantage et un prétexte pour les démocraties parlementaires, permettant de justifier leur durée et leurs exactions.
L’évocation du nazisme aujourd’hui, ne renvoie pas à une période de l’histoire, mais à un chantage affectif orientant les décisions, depuis l’élection, jusqu’au coeur de la pensée philosophique. Entre un Lepen hitlérisé pour la circonstance, et la métaphysique de Heidegger, qui n’est plus que l’introduction du nazisme dans la philosophie, la terreur sert de boussole jusqu’à l’absurde.
Car, tout de même, en lisant Heidegger, il est difficile d’utiliser cette pensée à la restauration de camps d’extermination, pour cette simple raison que pratiquement personne ne lit Heidegger, et personne parmi ses rares lecteurs on lu tout Heidegger. Et parmi ses exceptionnels lecteurs, plus rares encore sont ceux qui ont compris ses propos, tant sa pensée est abstraite. Si Heidegger peut servir d’introduction au Nazisme, alors il faut prèter une intelligence franchement développée à la pensée Nazie.
De plus, une pensée n’oriente pas les esprits, mais l’inverse, ce sont les esprits qui produisent les pensées. La pensée d’Hitler n’existait pas avant lui.
Enfin, je finirai ce préambule par cette constatation que l’avènement du nazisme dans le monde n’est pas un moment de l’histoire, mais le jaillissement du monde contemporain.
Le nazisme n’a pas disparu avec la fin d’Hitler ; il a seulement commencé avec lui, et se poursuit aujourd’hui sous des formes moins rigides, mais autrement terroristes, avec l’appelation rassurante et mensongère de démocratie.
Le monde démocratique a produit une force destructrice totale. Depuis l’effondrement d’Hitler, la démocratie n’a jamais cessé de propager des guerres, partout dans le monde, dont les victimes sont, le plus souvent, des civils dont le seul tort est d’habiter sur les territoires que se disputent des belligérants, pour des raisons de puissance et non de liberté.
Les camps nazis n’ont pas disparu ; ils ont été améliorés jusqu’à la création de quartiers de haute sécurité, les QHS d’où a réussi à s’évader le Grand Jacques, et d’autres qui sont maintenus dans le secret, comme à Guantanamo.
Cher Delcuse,
Vous attaquez là un énorme morceau, et tout à fait incomestible. Que la fureur nazie serve de masque à la bien-pensance et à l’impuissance démocratique, c’est on ne peut plus certain. En revanche, je crois qu’il serait assez faux de ne penser le nazisme que comme cela, en oubliant qu’il est né d’une réaction allemande à l’humiliation infligée à l’Allemagne (l’ex Empire) par les vainqueurs de 14, et que si son succès repose bien sur une esthétique de la force et de l’ordre, il est dû aussi à la fascination ressentie pour lui par la plupart des penseurs anti-démocrates qui ont assisté, de l’intérieur comme de l’étranger, à son ascension. Pour essayer de dire simple : si le nazisme sert de repoussoir à la démocratie, c’est que les démocrates ont tout mis en oeuvre pour faire oublier l’échec cuisant de leur système de pensée en face de ce système de gouvernement. Et puis il y a bien entendu, la complexe "question juive", dont il est depuis le nazisme interdit de formuler la moindre prémice - ce qu’on ne saurait tout de même complètement reprocher à notre fragile doxa, compte-tenu de la radicalité sanguinaire avec laquelle le nazisme prétendait devoir y répondre.
Oui, je crois que vous vous attaquez là à un énorme morceau, parce qu’aucune époque n’est mieux que la nôtre (et sans doute aussi par/ à cause/ grâce/ au nazisme) parvenue à un tel degré d’amnésie volontaire par rapport à son récent passé, et donc par rapport à elle-même. S’essayer à démêler l’écheveau de tant de dénégations, mensonges, peurs, aveuglements, mauvaise foi, amalgames, anathèmes, acculturations, et j’en passe, risque à tout moment de conduire celui qui s’y risque à formuler d’horribles contre-sens, à s’engloutir dans des voies aussi folles qu’immondes, à prononcer lui-même des contre-vérités monstrueuses, à s’égarer complètement. Tout ça sans parler bien sûr du jugement de la société d’aujourd’hui sur une telle tentative. Vous serez vite confronté (si vous ne l’êtes déjà) avec cette question de "l’impensable" du nazisme ET de la shoah que trois générations d’après nazisme et d’après shoah se sont appliquées à rendre effectivement impensable, par un incroyable et irrationnel effort, plus que d’amnésie (en prétendant lutter contre l’amnésie) : de brouillage volontaire. C’est cet interdit de penser qui pèse, sans doute le même qui empêche la lecture d’Heidegger, mais aussi celle de tout un pan de la culture du XXe et du XIXe siècle. Par exemple, vous qui êtes lecteur de Bloy, ne vous a-t-il pas sauté aux yeux que nous n’arrivions plus, nous, à concevoir que certains esprits pas forcément obtus ni scandaleusement militaristes (il y en eut beaucoup aussi cependant) aient pu penser encore en 1910, en 1920, en 1930 et même en 1940, que Dreyfus était coupable - ou mieux pour certains : qu’il eut mieux valu qu’on laissât croire qu’il le fut, s’il ne l’était pas ? - Rien que d’énoncer cette question, j’ai peur de figurer sur une liste noire. Or, c’est en réalité à ce travail de fouille que vous vous attaquez. Il est passionnant et, à bien des égards, je crois, fondamental. Mais il relève encore du pari pour les esprits abrutis que nous sommes par trois générations de dénégations tous azimuts.
Si votre texte n’est réellement qu’un préambule à une démarche que vous espérez mener vers un terme, je ne peux que vous engager à la mener en oubliant le moins possible que c’est la Chair qui garde le Verbe, et non l’inverse.
je ne suis pas sûre de savoir exprimer mes pensées clairement, mais ce texte me fait penser à ahrent qui écrivait que les pires des criminels nazis étaient de fait non pas des monstres mais bien de simples humains et que cette donnée nous déstabilise tellement que nous rejetons avec force et violence jusqu’à ses victimes qui de fait sont doublement victimisées. nous nous assujettissons au déni car nous n’osons affronter notre humanité dans ce qu’elle a de plus cruel et destructeur, en faisant cela nous nous privons également de son côté positif que nous projetons dans les religions : double déni et terrible pour beaucoup d’entre nous.
je me souviens d’un psychiatre qui à l’énoncé courageux de souffrances qu’une amie avait endurées s’écria : "mais de telles souffrances madame, c’est inhumain !!!" et mon amie se débattant car il voulait la forcer à se mettre sous médicaments lui rétorqua qu’au contraire ces souffrances provenaient justement de l’humain et que son déni n’était pas acceptable, si elle pouvait vivre et survivre avec ces souffrances, de toutes évidence lui ne le pouvait pas (elle rajouta, qu’il pouvait avaler ces médicaments car c’est lui qui en avait grand besoin !)
je pense en effet, qu’il y a déni et mensonges et que s’aventurer sur ces interrogations est important et courageux. merci :) bien à vous
Z’y vas Gilles c’est là qu’il faut foncer pour développer et nous expliquer encore plus les choses...
Ben si quoi...
Faut pas ê’tes timide là !
vous l’avez vo’t’ débat avec des lecteurs de Heidddeggggger...
non pas’ce que justement moi j’viens là pour m’instruire : c’est pas ça la démocratie ? écouter ceux qui savent parce qu’ils le disent, pour savoir ce que l’on ne sait pas mais qu’ensuite on sera, à défaut de savoir et d’avoir compris ? m’enfin... bon... moi ça me fait peur, encore plus qu’avant : je pouvais voir Smakchin en me disant juste qu’il est laid : là maintenant avec votre explication qu’on est en plein nazisme rampant, glauque, infiltré partout, comme dans matrix et la guerre des étoiles, ben j’ai peur, j’ai peur, j’ai peur... mais comme j’ai aussi peur d’être palestinien si je vais en israel et que je sais pas suffisamment parler espagnol pour aller chez castro... dites... je vais où maintenant que vous m’avez fait peur ? ben si ! c’est vachement sérieux ! merde !
Delcuse,
Après un bref passage sur mon blog, vous proposez fort poliment à "Mr le pirate" Alex gambler de réagir à votre réaction, en laissant un message sur sa boîte aux lettres. Je regrette qu’il lui soit impossible de réagir à toutes vos approximations, même si elles partent sans doute de fort bons sentiments...
En ce qui concerne Heidegger & Debord, ni l’un ni l’autre ne relève d’une quelconque métaphysique, ni d’une "vision du monde", ni d’ailleurs d’une idéologie.
C’est précisément ce qui fait que ces deux auteurs, et ce sont sans doute les seuls à l’avoir fait aussi sincèrement, ont pu juger si durement les "démocraties parlementaires" de la seconde moitié du XXème siècle, que ce soit à l’est ou à l’ouest.
Vous voulez parler de "notre vie", bien à la légère il me semble.
Dans la mienne, Debord ne joue pas les figurants dans le rôle de "l’ambitieux qui a fini rongé par l’alcool", à l’extrême-gauche de la scène, bien au fond, voire en coulisse.
Tels furent les dernières lignes écrites de la main de Debord, si je me souviens bien :
"Maladie appelée polynévrite alccolique, remarquée à l’automne 90. D’abord presque imperceptible, puis progressive. Devenue réellement pénible seulement à partir de la fin novembre 1994. Comme dans toute maladie incurable, on gagne beaucoup à ne pas chercher, ni accepter de se faire soigner. C’est le contraire de la maladie que l’on peut contracter par une regrettable imprudence. Il y faut au contraire la fidèle obstination de toute une vie."
Peut-être, mas c’est bien sûr mon point de vue très personnel, devriez-vous vous-même boire un peu plus... La démocratie d’aujourd’hui mérite notre dédaigneuse ivresse, à nous autres pirates, elle qui s’accommode si bien de critiques aussi sobres que les vôtres, et si mal d’une franchise aussi joyeuse que la mienne.
Je vous souhaite bonne mer.
Très amicalement,
A.G. http://riverrun.over-blog.com