Je suis partie aujourd’hui
Les soins palliatifs à domicile ou le dernier train avant le bleu du ciel par Franca Maï
Franca Maï : Fleurs vénéneuses extrait Crescendo (vidéo)
« DES BEAUX RESTES !... » La phrase de Jeannot me trottait dans la tête !... Mais ceux que je découvrais étaient monstrueux à regarder. La toilette exécutée avec soin et délicatesse pendant de longues heures tentait de dissimuler l’horreur mais le minois de Sabrina malgré le grimage, criait la réalité crue de l’accident. Le malheur voulait avoir le dernier mot. Il triomphait déloyalement. Sa dépouille reposait dans un cercueil en bois d’acajou à la parure intérieure satinée ivoire. Sa robe longue bleu ciel et ses bottines lacées cachant l’insupportable. Mais on devinait les lambeaux de chair fondue et carbonisée, malgré la carapace de tissus et les artifices. Philippe a demandé aux employés des pompes funèbres de refermer le couvercle. Il ne voulait pas que sa fille soit exhibée au voyeurisme malsain de la foule venue lui rendre un dernier hommage. La proche famille recevait les condoléances. Pour Philippe, c’était un supplice. Il croyait lire dans chaque regard, sa culpabilité. Elle s’était engluée en sa chair, le tourmentant sans répit. Je me suis mise un peu à l’écart. Par pudeur et par peur des questions. J’observais les gens. Leur gestuelle était maladroite, un tantinet guindée. Les rayons du soleil pendant la mise en bière se répandaient en éventail et j’ai pensé qu’ils n’étaient au rendez-vous que pour torturer encore la peau de la gamine. J’ai eu mal. C’était débile. Elle n’était déjà plus de ce monde. Plus rien ne l’atteignait. Mais j’ai eu mal tout de même. J’aurais préféré une pluie fine pour soulager son ultime voyage. Un baume apaisant. Sa tombe était recouverte maintenant de couronnes et de bouquets de fleurs qui débordaient sur d’autres dalles. Comme si tous les gens rassemblés s’étaient concertés par ces offrandes colorées à lui offrir un paysage bucolique. En guise d’adieu. Mais j’ai pensé que Sabrina allait s’asphyxier avec tout ce mélange de parfums et d’espèces diverses. J’ai eu mal, à nouveau. Des pointes fulgurantes dans le bas-ventre. Mes pensées étaient stupides. La vie m’est apparue, mauvaise joueuse et injuste. Je me suis concentrée sur une silhouette isolée du groupe.
J’étais... Comment pourrais-je vous décrire mon état. Vidé...Le mot est trop faible. Incapable de bouger, de faire un pas, de respirer. Glacé, de l’intérieur, ma carcasse ne se réchauffait pas.
Voilà, elle était partie. Ma Fana avait pris la tangente.
Mon étoile avait filé. Jamais plus je ne verrais sa bouche dégouliner de plaisir, mordant la vie à vitesse enivrante. Jamais plus et cette résonance irréversible me paralysait les membres. Plus de soleil, de lune, de jour, de nuit, rien d’autre que ce manque d’elle et ces heures interminables figées dans le cafard. Ce déferlement de souvenirs qui m’agressait les neurones en démangeant ma viande me filait des maux de crâne. Mes cheveux avaient blanchi et mes yeux vides accusaient les cernes d’un vieillissement prématuré. Combien de temps s’était-il déroulé depuis cette trahison ? Car comment appelez-vous une femme qui vous brame des mots d’amour la veille et qui se barre sans rien dire ?... Pas une seule explication. Une sacrée putain de girouette.Alouette, gentille alouette, alouette je te plumerai...
Non... Je ne lui conseille pas de se pointer à nouveau dans cette baraque. Je pourrais devenir fou. Il vaut mieux qu’elle s’abstienne de tout remords. Je ne veux plus voir sa gueule. Qu’elle reste là où elle est...
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